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Analyse du manuscrit
"Contredanses pour le violon premier"

par Naïk Raviart

Préambule

Suite à la publication sur internet du premier de ces deux manuscrits, Naïk Raviart, danseuse, chercheuse, historienne de la danse (1) a pris la peine de m'envoyer un premier courrier dans lequel elle me donnait, après examen rapide, un premier commentaire sur ces documents dont voici un extrait :

"Contenu très classique : prédominance de contredanses du type Été du XIXe avec témoignage, encore, du premier Été du XVIIIe, celui de Julien, tant musicalement que chorégraphiquement. On constate une survivance non négligeable de contredanses du XVIIIe siècle. Celles du XIXe sont généralement celles que l'on trouve répertoriées dans les recueils imprimés de Frère. D'autres, exactement de même facture, sont peut-être des productions locales. Il y a échelonnement des notations. Les dernières (quadrilles complets et plus convenus) étant à l'évidence plus tardives que toutes celles du début (celles jusqu'à la 80e environ). Aucun quadrille n'a pourtant le profil de ce qu'il deviendra quand il trouvera sa forme définitive en Pantalon, Été, Poule, Pastourelle, final. Seul le Quadrille de Nathalie enchaîne les mélodies suivant la rythmique convenue 2/4, 2/4, 6/8, 2/4. Encore s'agit-il plus vraisemblablement d'une rencontre de hasard que d'une fidélité à un archétype."

Naïk Raviart avait ensuite avancé des dates, "modulant celles-ci selon qu'on situait l'auteur à Paris ou en province. Fixé une date en deçà de laquelle il était impossible de remonter, 1804/1805 (à cause de La Napoléon). Proposé plus largement - pour la seule et unique première partie du ms - c. 1810 si le scripteur fréquentait les salons parisiens ou environnants, c. 1820 s'il était plus éloigné de la capitale. Je concluais : Le répertoire dansé correspond ici parfaitement à ce qui est dansé dans les salons de Mme Récamier et à ce dont témoigne Laure Junot, duchesse d'Abrantes. (Y compris avec la mention de La Trénis, à l'époque préférée à La Pastourelle.)"
Pour ce qui est de la fin du cahier, N. Raviart l'avait considérée comme nettement plus tardive

Lui ayant demandé s'il était possible de faire figurer cette analyse sur le présent site, Naïk Raviart m'a proposé de confirmer ce premier commentaire par une recherche plus fouillée et de fournir ainsi un texte plus détaillé éclairant, titre par titre, chaque contredanse du manuscrit.

Vous trouverez cette étude ci-dessous et vous pourrez constater qu'elle ne modifie rien à cette première impression, ni à la datation, sinon de par la précision des commentaires et l'appui sur des références concrètes.

Comme l'indique Naïk Raviart :

"J'y spécifie, chaque fois que possible, dans quel recueil imprimé chacune de ces contredanses a originellement été publiée. Quelques incertitudes demeurent. Seul un nouveau travail en bibliothèque les aurait levées. Mais, dérobant à mes propres travaux le temps de cette étude, et œuvrant par simple amitié, je n'ai pas poussé aussi loin que je fais habituellement dans mes propres recherches. (la plupart des internautes qui visitent ce site trouveront déjà cela trop scientifique et trop détaillé. Les chercheurs, eux, ne s'en plaindront pas, et auront, je n'en doute pas, la correction de me citer s'ils font usage des informations apportées par mon étude). Bref, je ne suis pas retournée en BN mais ai travaillé dans mon bureau, au milieu de mes documents. Toutes les fois où il y a incertitude, je me suis efforcée de l'indiquer aussi honnêtement et clairement que possible. Et j'ai alors très précisément signalé les recueils où l'incertitude en question serait levée. Chacun peut donc le faire pour son compte, puisque je dis où aller voir.

Quand la danse, outre sa première impression, est reprise dans les publications de pots-pourris, je le signale aussi. C'est en effet un élément important pour juger de la diffusion et de la popularité d'une œuvre. Il m'arrive pour les mêmes raisons - mais pas systématiquement - de signaler d'autres notations manuscrites des mêmes pièces. Enfin, je commente à chaque fois la facture de la chorégraphie pour aider à la situer dans le temps quand les publications, souvent non datées, n'y aident pas."

Les quelques extraits du manuscrits disposés en tête des chapitres ont été ajoutés pour aérer le texte et ne sont pas forcément en rapport direct avec le contenu de ces chapitres. Les liens sur chaque titre renvoient, par contre, au fac-simile du titre en question.

Jean-Luc Matte


Analyse du manuscrit
"Contredanses pour le violon premier"
par Naïk Raviart

 

1 - LA FANNIE

C'est une variation sur le thème chorégraphique de La Poule, appelé à devenir la 3e figure du quadrille un peu avant la fin de l'Empire. Le léger écart par rapport à l'archétype tel qu'il va bientôt s'établir renvoie à la période où la danse se cherche, encore polyforme, avant de se figer définitivement. Donc à une date de composition relativement tôt dans le siècle. La seule différence avec la convention finalement retenue pour l'œuvre consiste ici à faire suivre les traversées initiales main droite/main gauche par un en avant 4 au lieu de balancés, ainsi qu'à ajouter une demi-chaîne anglaise finale. Musicalement, le 6/8 va bientôt prévaloir pour les Poule. Ici, comme dans d'autres Poule des 1ers temps, rien n'est encore convenu et le 2/4 est admis sans problème.

La Fannie du manuscrit est vraisemblablement La Fannie de Louis Julien Clarchie (dit simplement "Julien") que Frère publie à l'orée du XIXe siècle dans son "7e Recueil des contre-danses et waltzes". Ne remettant pas la main sur mon exemplaire du recueil, je n'ai pu le vérifier à coup sûr. Outre, pourtant, qu'il n'est guère d'autre possibilité, cette identification est d'autant plus assurée que 7 des 8 contredanses qui suivent dans le manuscrit reprennent des titres tirés de ce même recueil.

Signalons une Fany, autre que celle du manuscrit "Contredanses pour le violon premier" (que j'appellerai dorénavant pour faire court ms.-Matte), dans le ms 5.517 de la BM de Lyon attribué au maître de danse Dauternaux.

 

2 - LA CLARIS

Il s'agit ici d'une variation sur le thème de L'Été (qui sera la 2e figure du quadrille.)

Une 1ère contredanse intitulée La Clarice est publiée à deux reprises par Frère avant la Révolution (il la reprend sous le n° 93 dans le 6e recueil de pots-pourris). Cette première Clarice n'a de rapport ni musical ni chorégraphique avec celle du manuscrit : les figures en sont bien plus complexes ; la partition a 4 phrases musicales et non 3 ; la 1ère, seule, présentant une vague ressemblance avec celle de notre Claris.)

La Claris qui nous occupe ici doit donc être La Clarice de Louis Julien Clarchie, que, comme La Fannie ci-dessus, Frère publie dans le 7e recueil des danses de cet auteur. (Frère a commencé à publier des recueils entièrement consacrés aux contredanses et valses de Julien du vivant de ce prolifique auteur. Il a continué après sa mort, une fois rachetés les droits à sa veuve.)

Louis Julien Clarchie, qui se présente lui-même comme "Américain", est souvent désigné comme "le mulâtre Julien" (attention, il y a deux Julien ou Jullien). À l'origine de plusieurs standards de contredanses - dont, par son titre au moins, L'Été -, c'est un musicien adulé, un compositeur et chorégraphe fécond, un professeur recherché, un génial conducteur d'orchestre que Le-Tout-Paris s'arrache, un violoniste soliste que "l'on se dispute à prix d'or", un chef d'orchestre réputé des bals de la Cour. Les publications le disent demeurer "rue du Bacq dans le marché Boulinvillier l'escalier n° 3."

 

3 - LA MIRZA

Il y a plusieurs Mirza, suite au succès rencontré en 1779 par le ballet de Maximilien Gardel Mirza et Lindor. La Mirza du ms-Matte n'est pas celle que publie Frère au XVIIIe siècle dans son 15e recueil de pots pourris. Ce n'est pas non plus celle que publie Dauternaux à Lyon en 1780 et qu'il consigne à nouveau manuscritement début XIXe. C'est, selon toute attente, mais je ne puis le vérifier, celle que Julien publie dans ce fichu 7e recueil sur lequel je ne remet pas la main. Il s'agit, là aussi, d'une variation sur L'Été.

Signalons pour l'anecdote que le succès du ballet a également valu à nombre de chiens d'être appelés Mirza dans les années 1780. À la promenade des Tuileries, on n'entendait que ce nom. "On ne s'y reconnaissait point, ils tournaient tous la tête en même temps !" raconte un témoin.

 

4 - LA RAYMON

Il s'agit encore une fois d'un avatar de L'Été.

La Raymond - parfois dite La Raymonde - figure elle aussi dans le 7e recueil en question. On trouve encore La Raymond dans le manuscrit de Gergoux "Choix de contredanses, walz, sauteuses, anglaises, bourrées, rondes, etc.," constitué vers la même époque.

 

5 - LA VELLONIA

Il s'agit d'une contredanse de Julien (musique + figures) que Frère publie à l'époque révolutionnaire.

 

6 - LA NOUVELLE SEGUIN

Une première contredanse de ce nom, en 2/4 celle-là - "contredanse allemande par Mr Verdier" -, est publiée en feuille volante par Bouin sous l'Ancien Régime (24e feuille). Une seconde contredanse de ce nom, celle du manuscrit ais-je lieu de penser, est due à Julien et figure dans le 7e recueil de Frère déjà cité.

 

7 - LA NAPOLÉON

Toujours Julien, toujours ce 7e recueil. (Donc à vérifier.) La contredanse mélange des ingrédients qui caractériseront plus tard Le Pantalon, d'une part, L'Été, de l'autre. Pour Le Pantalon : balancés, tour de mains, chaîne des dames (en l'occurrence dans le désordre), demi queue du chat, demi-chaîne anglaise. Pour L'Été : en avant 2, traversés, rigaudon, chassés, retraversé. Le ms attribué à Dauterneaux (j'écrirai désormais ms Dauternaux même si l'attribution n'est pas totalement avérée) comprend aussi la mélodie de La Napoléon.

 

8 - LA PONPONE

D'habitude orthographiée La Pomponne, il s'agit d'un Été de Julien Clarchie publié dans ce même 7e recueil de Frère. Republié serait plus exact. Car, comme ce peut être le cas de certaines des contredanses dont il a été question, la danse a précédemment été imprimée sur feuille volante. La Pomponne de Julien - au moins est-il probable qu'il s'agit de la même ; en tout cas, l'auteur est le même - a ainsi déjà été publiée par Bouin (381e feuille). Frère l'a fait de son côté figurer dans son 33e recueil de pots pourris. Elle est en outre la 56e feuille d'une collection que tente lancer l'éditeur Camand. On la retrouve à ces divers titres dans certains recueils factices de l'époque révolutionnaire. Un manuscrit de la fin du XVIIIe siècle, conservé à la bibliothèque de l'Opéra, contient lui aussi cette Pomponne de Julien, tandis que La Ponpone - à moins que ce ne soit La Poupone, c'est si mal écrit - qui apparaît en sous titre de La Vidal dans le ms Dauterneaux n'est pas celle-là.

 

9 - LA SARTUNÉ

Le titre est mal orthographié. Il s'agit en fait de La Saturné de Julien, toujours dans ce même 7e recueil de Frère. C'est un Été privé de son en avant deux initial.

 

10 - L'INNOCENTE

Une danse de ce titre figure initialement dans le "Ier Recueil de contredanses nouvelles" de Bouin. Les contredanses de ce recueil, "dansées au Vauxhall et à la salle du Sieur Torré", sont toutes antérieures à la Révolution. Frère insère L'Innocente, de Vincent - est-ce la même ? -, dans son 31e recueil de pots-pourris. Un anonyme se désignant comme "M. C. amateur" fait également figurer L'Innocente dans "Douze contredanses formant deux quadrilles".

La chorégraphie du manuscrit est typique de la 2e moitié du XVIIIe siècle.

 

11 - LA DÉSIRÉE

Il s'agit d'un Été de Julien Clarchie publié par Frère dans son "7e recueil de contre-danses et valzes".

 

12 - LA MAUIDE

Il s'agit de La Mauÿde de Julien, toujours dans ce même 7e recueil. C'est une version de L'Été (la version longue avec balancé et tour final aux dames) dans laquelle a été insérée une chaîne anglaise supplémentaire.

 

Contredanses suivantes, 13 à 26

J'ai reculé devant l'énorme travail qu'il aurait fallu pour identifier ces contredanses par leur seule musique en l'absence de titres.

o Chorégraphiquement, la13e est un montage d'Été (début) et de Pantalon (fin).

o Les évolutions de la 14e sont typiques des compositions du dernier tiers du XVIIIe siècle. Cela incline à dater la danse de cette époque sans pourtant y contraindre nécessairement. Les modèles anciens perdurent en effet plus ou moins longtemps dans les premières années du XIXe. Comme très souvent dans les notations manuscrites (la chose se vérifie ici ou là au long du recueil qui nous occupe) et même dans beaucoup de recueils imprimés, le scripteur oublie de noter les moments où l'on doit faire un pas de rigaudon sur place. Faute de réserver la place de ces 2 mesures et de les caler de façon appropriée sur la musique, une reconstitution actuelle de la danse par des amateurs peu avertis risque d'être erronée.

o Les évolutions de la 15e se retrouvent, sous divers titres, dans plusieurs contredanses de la fin du XVIIIe.

o La 16e articule un début d'Été à un enchaînement plus représentatif du XVIIIe que du XIXe. (Les injonctions reflètent le "machisme" habituel des scripteurs. Si les cavaliers font bien, effectivement, l'allemande à gauche, leurs cavalières, elles, la font en revanche nécessairement à droite.)

o La 17e reflète l'une des mille variations qui peuvent affecter L'Été. Elle est ici minime, consistant seulement dans le fait qu'au lieu de balancer avec la personne de l'autre sexe, à sa gauche, avant de revenir à sa place comme le voudrait le premier modèle de L'Été, on revient d'abord puis on balance avec son - ou sa - propre partenaire.

o La 18e s'avoue elle-même Été. On peut s'étonner que le scripteur n'ait pas fait cet aveu pour nombre des précédentes qui n'étaient elles-mêmes que des Été ou des variations sur ce thème. J'y vois la preuve qu'on est à l'époque des premiers Été (et non pas des tout premiers, car ceux-ci remontent au XVIIIe siècle), dans ces premières années du XIXe où l'on n'a pas encore nécessairement appris à discerner sous la prolifération des formes la constante de l'architecture sous jacente.

o La 19e est un Pantalon.

o La 20e un Été, comme la 21e.

o La 22e montre une recherche vers ce qui deviendra à terme La Poule.

o Des enchaînements de figures du type de la 23e sont légions au XVIIIe. Ils perdurent certes à l'orée du XIXe, mais sans être représentatifs du siècle.

o Même remarque pour la 24e. La chorégraphie, avec ses chassés de la marquise, date vraisemblablement de la fin de l'Ancien Régime. (La Marquise est une contredanse précise composée vers 1760). S'il était avéré qu'il s'agit ici d'une composition du début XIXe, cela ne ferait que témoigner d'une sensibilité qui survit à son époque.

o On trouve très précisément plusieurs exemples d'enchaînements comparables à ceux de la 25e au XVIIIe siècle, le demi-rond pouvant être à l'occasion remplacé par une demi-chaîne anglaise ou un demi-moulin.

 

26 - LES PIERRETTES

"La Pierrette", contredanse de Guillaume que Bouin publie dans son 10e recueil et Frère dans son 16e recueil de pots-pourris est bientôt concurrencée par Les Pierrettes que Frère publie dans son 29e recueil de Pots-pourris. Air et évolutions sont typiques de la fin XVIIIe.

 

27 - LA MUSEE

La danse est imprimée par Frère dans son 29e recueil de pots-pourris - sous Louis XVI, donc - et se trouve aussi dans ce même recueil manuscrit de contredanses de l'époque révolutionnaire évoqué plus haut qui contenait déjà La Pomponne (bibli. Opéra). Les évolutions sont typiques du XVIIIe siècle.

 

28 - L'AUGUSTINE

Il existe au moins deux contredanses de ce nom. D'abord une composition de Vincent. Publiée d'abord en feuille volante (145e feuille d'une collection anonyme), elle est reprise dans le 27e recueil de pot-poury françois et contredanses les plus à la mode, avec l'explication des figures, qui se dansent chez la reine" de Frère (je donne ici pour la première et dernière fois un tel titre in extenso), et on la retrouve aussi dans un manuscrit conservé à la B.O. (autre que celui précédemment évoqué). Les compositions de ce type sont légion au XVIIIe siècle. Une contredanse de ce nom, mais en 2/4 celle-là, se trouve dans le ms lyonnais Dauterneaux.

 

29 - LA JAPONAISE

La danse est aussi de Vincent, très prolifique auteur dans les années qui précèdent et suivent immédiatement la Révolution. (Les parutions le disent habiter "rue St Martin vis à vis la prison chez le parfumeur", avec cette possible variante "chez le pâtissier", changement de propriétaire oblige.) Elle a paru dans le 18e recueil de pots-pourris de Frère. Le manuscrit de l'Opéra qui contenait déjà La Pomponne et La Musée contient aussi La Japonaise.

La danse telle qu'elle apparaît dans le manuscrit "Contredanses pour le violon premier" (que j'appellerai dorénavant pour faire court ms.-Matte), présente des modifications par rapport au texte imprimé. Peu substantielles par elles-mêmes, elles impliquent toutefois une adéquation différente des mouvements à la musique. Le scripteur de notre manuscrit omet en outre d'indiquer une demi-chaîne anglaise des couples 2 et 4, omission qui rend inexécutable l'injonction finale "chassez tous les 8 et à vos places".

 

30 - LA PETITE BELINDE

Je ne connais qu'un recueil manuscrit à contenir par ailleurs la danse. Le copiste de cet autre recueil dit l'avoir notée "le 15 avril 1783". Il est intéressant de constater que la mention du rond initial, le plus souvent omise dans le ms-Matte, est pour une fois consignée (elle le sera de même pour La Doliva et quelques titres ultérieurs, ce qui ne se conçoit qu'au tout début XIXe. Cette indication, déjà souvent omise fin XVIIIe parce que sous entendue, va disparaître en effet bientôt systématiquement au XIXe du fait que cette introduction ancienne, dite "entrée", cesse peu à peu d'être dansée).

 

31 - LA DOLIVA

Il existe au moins deux Doliva. L'une est une composition de Mignard publiée par Frère sur feuille volante et reprise ensuite par ce même éditeur dans son 37e recueil de pots-pourris. L'autre, attribuée à Ferret, publiée par Frère comme aussi par Melle Le Beau, est reprise par Frère dans son 34e recueil de pots-pourris. Faute d'avoir en ce moment devant les yeux ces documents, je ne sais si La Doliva du manuscrit est celle de Mignard ou celle de Vincent. La chorégraphie, rudimentaire (avec notation à l'évidence fautive), se noie dans la banalité des centaines d'autres de ce type à la fin du XVIIIe siècle.

 

32 - LA COLBERT

Outre La Colbert, contredanse parodiée publiée par J. B. Chr. Ballard dans "Les rondes, chansons à danser", en 1724 (qui n'a, bien sûr, rien à voir avec la danse qui nous occupe ici), je ne connais qu'une autre contredanse de ce nom. C'est celle de Vincent, publiée par Bouin dans son 14e volume, feuille 398. Faute d'en posséder copie, je ne peux comparer musique et mouvements avec ceux du manuscrit et identifier formellement l'œuvre. Le recoupement est pourtant probable, la chorégraphie du ms-Matte présentant nombre de traits familiers aux contredanses du XVIIIe siècle.

(Signalons tout de même, par acquis de conscience et parce qu'une erreur de titre est toujours concevable, que Julien a composé une Colberti publiée par Frère en 1804. J'en ignore et la musique et la chorégraphie.)

 

33 - LA CLIGNANCOURT

La danse est de Julien. Frère la publie dans son 33e recueil de pots-pourris, sous le n° 530. Le manuscrit de l'époque révolutionnaire déjà cité (B. O) qui comprenait La Pomponne, La Musée, La Japonaise, contient aussi La Clignancourt. Sans être à proprement parler un Été ni même, stricto sensu, un avatar plus ou moins reconnaissable, la danse n'en flirte pas moins avec ce thème.

 

34 - LA PETITE FANCHETTE

Frère publie une contredanse de ce titre sur feuille volante n° 829, et publie à nouveau une Petite Fanchette de Feret (vraisemblablement la même, mais je ne suis pas actuellement en mesure de vérifier) dans son 39e recueil de pots-pourris. La danse présente cette banalité qui baigne nombre d'œuvres à la charnière XVIIIe/XIXe. (Signalons une erreur dans la notation : le demi-tour final, qui devrait effectivement, comme indiqué, faire rentrer à sa place, ne permet nullement de le faire après les évolutions prescrites.)

 

35 - LA FERRARE

Je n'ai rencontré aucune Ferrare au cours de mes recherches. La chorégraphie du ms-Matte peut aussi bien être de la fin XVIIIe que du début XIXe.

 

36 - LA VERTUEUSE

Bouin (14e vol. 394e f.), Bonjour, et un éditeur anonyme ont tous trois publié dans leurs collections une contredanse La Vertueuse. Est-ce la même ? Encore une fois, réduite aux documents, notes, fiches que je peux consulter dans mon bureau, les moyens me manquent d'en juger. Il faudrait retourner en bibliothèque. Je signale simplement que l'un des éditeurs crédite Vincent de la musique et Maguenet de la figure tandis qu'un autre attribue le tout à Vincent. Danses différentes ? Simple erreur d'attribution ?

La chorégraphie (avec mention du rond ordinaire) a cette fluidité convenue, banale mais pas désagréable, de nombre d'œuvres de la fin XVIIIe. Infiniment moins complexe et séduisante que les ambitieuses compositions de la mi-siècle, elle échappe tout de même à la terrible pauvreté de tout un pan du répertoire pré-révolutionnaire. (Signalons que l'Écho de Liège avait pour sa part publié en 1769 une Vertueuse en lonways de type anglais.)

 

37 - LES NOCES DE GAMACHE

La contredanse, dont la musique et la figure sont de Vincent, est publiée par Bouin dans son 14e vol. f. 397. Comme la précédente, la chorégraphie est du type de celles que l'on trouve à foison à la charnière des deux siècles.

 

38 - LA JAMAIQUE

La danse est sans aucun lien, bien évidemment, avec la Jamaïca du Dancing Master adopté par la France fin XVIIe sous le titre La Jamaïque avant d'être rebaptisée La Bonne amitié. Il s'agit ici d'une contredanse du XVIIIe siècle publiée par Landrin sur feuille volante (214e feuille) La page de titre annonce : "L'air et la figure par Mr Jullien, Mtre de danse rüe des grands desGrez vis-à-vis la rüe Perdu". La danse est aussi publiée par un éditeur anonyme dans une collection dont elle constitue la 44e feuille. Frère ne manque pas de la publier à son tour dans son 16e recueil de pots-pourris.

La danse semble n'avoir connu aucune altération ou modification sensible au cours de sa carrière puisque le scripteur de notre ms.-Matte, début XIXe, se montre rigoureusement fidèle au modèle ancien tant musicalement que chorégraphiquement. À un seul petit détail près cependant. La mode semble venue - dans le milieu où évolue l'auteur du cahier, au moins - de conclure la danse par un tour de main final, là où les danseurs se détournaient, naguère, dans une pirouette à gauche qui les ramenait à leur place.

 

39 - LES ARICOTS ECOSSES

Frère publie Les Aricôts Écossés de Denis dans son 22e recueil de pots-pourris qui se dansent aux bals de la reine Marie-Antoinette. Le manuscrit de la B. O. auquel il a souvent été référé ici comprend lui aussi la danse sous le titre Les arricos, comme il comprenait déjà La Pomponne, La Musée, La Japonaise, La Clignancourt.

Un autre manuscrit de la B.O. - auquel j'ai déjà également fait référence - consigne la musique de cette contredanse à la date du 21 octobre 1782. (Le titre de la danse est parfois orthographié Les aricots écossais dans certaines notations manuscrites !)

Si La Jamaïque n'avait pas connu de vraie altération en passant d'un siècle à l'autre, il en va tout autrement de nos Haricots. Ils sont non seulement écossés mais franchement ratiboisés. Seule la musique n'a pas changé. La danse, elle, est passée d'une riche succession de sept figures à un très petit nombre d'évolutions, elles-mêmes pauvres et convenues. On ne saurait parler ici d'un processus d'évolution. C'est à une réfection complète, délibérée, que se sont livrés les danseurs du XIXe siècle (au moins dans la région où réside notre scripteur et les milieux où il évolue) condamnant ainsi la danse à n'être qu'une Xème version des innombrables œuvres du même type dont ils disposent par ailleurs. (Ainsi la jolie chaîne en ligne ancienne, originale, dite en "lacs d'amour" de la première version a-t-elle disparu, remplacée par des évolutions-clichés. La nouvelle œuvre intègre bien, elle aussi, une chaîne, mais il s'agit de la sempiternelle chaîne anglaise à laquelle échappent peu de contredanses.)

 

40 - L'INGENUE

De nombreuses contredanses portent ce titre. Écartons d'emblée celle que J. Cunissy publie chez Frère - et que Lartois reprend dans un manuscrit - car c'est un Été (sans rapport, donc, de chorégraphie) avec musique dissemblable. Reste une contredanse de Vincent que Frère publie sous le n° 434 dans son 27e recueil de pots-pourris, comme le fait aussi, en 146e feuille, un auteur de collection anonyme. Reste encore une contredanse de J. B. Hullin composée pour le bal de l'Hôtel de Richelieu (lequel bal est dit " bal des victimes", juste après la Terreur) et publiée par Frère sous le titre Trois quadrilles. Je ne possède ni la contredanse de Vincent ni celle de Hullin et ne puis donc trancher pour l'une ou pour l'autre.

Les évolutions n'aident guère à décider, pouvant avec autant de vraisemblance dater de la fin XVIIIe que du début XIXe. Quitte à être contredite in fine par les documents, j'inclinerais personnellement pour la chorégraphie de Vincent, les quadrilles de Hullin étant assez généralement d'un confondant simplisme. Or, si pauvrette soit la contredanse du ms. Matte, elle garde l'écho affadi d'organisations plus complexes. Qu'Hullin me pardonne et tienne sa revanche si je me trompe.

 

41 - LA SUEDOISE

Cette danse de Vincent a été publiée par Frère dans son 27e recueil de pots-pourris en n° 428 et par l'éditeur anonyme précédemment évoqué, en feuille 140. On la retrouve aussi dans le manuscrit de la fin XVIIIe de la B.O. dont il a été amplement question précédemment et où figurent aussi nombre de nos contredanses du ms-Matte.

 

42 - LA BELLE REMONDE

Comme nombre des contredanses précédentes, La Belle Raymonde a fait les beaux jours des bals de la Cour sous l'Ancien Régime. Frère fait en effet référence aux bals de la reine - selon son habitude avant la Révolution - lorsqu'il publie la danse sous le n°351 dans son 21e recueil de pots-pourris. À même époque, et chez le même Frère, un auteur de collection anonyme diffuse La Belle Raymonde qui porte dans son recueil le n° 68. (À noter, une fois encore, comme d'ailleurs dans La Suédoise précédente, la mention du "grand rond".)

 

43 - LA NOUVELLE SICARD

Bien que réputée "nouvelle", cette danse de Sicard est en fait ancienne au moment où le scripteur du ms. Matte la consigne. (Elle serait en effet en service depuis une quarantaine d'années si l'on admet la date approximative de 1810 pour tout ce qui concerne le début du ms. Matte.) C'est Landrin qui semble l'avoir éditée le premier dans les années 70. Elle est la 139e feuille de sa collection. Borelly la reprend dans son 3e recueil de pot-pourri, ainsi que Frère, dans son 3e recueil aussi, où elle porte le n° 37.

Contrairement à celle des Haricots écossés, la chorégraphie est cette fois restée inchangée au cours du temps. Se référer aux publications imprimées permet d'interpréter correctement le texte du ms. Matte qui, s'il n'est pas réellement fautif, induit tout de même en erreur. Il indique en effet qu'après les balancés et le rigaudon, il faut faire un dos-à-dos puis un tour d'allemande. Chez Frère, le texte est "ballancer et rig. en se tournant le dos", ce qui n'est pas du tout la même chose et n'occupe pas le même espace musical.

 

44 - LA HARPIE

Je ne connais aucun autre recueil, imprimé ou manuscrit, qui contiendrait la danse. Peut-être est-ce une composition qui n'a cours que dans le cercle où évolue le scripteur.

Bien que les injonctions ne soient pas toujours très claires, cela n'empêche pas de saisir la facture générale de l'œuvre. Elle ressortit plus au XVIIIe qu'au XIXe (à ce qui est en train de se constituer nouvellement et de façon convenue au XIXe, en tout cas).

 

45 - LA JEANNETTE CHINOISE

Plusieurs contredanses intitulées La Jeannette se sont succédées au cours du temps depuis le début du XVIIIe siècle. La dernière en date se trouve dans les 1ers recueils de contredanses de Chèdeville comme de Leclerc. Mais nulle part en dehors du ms. Matte je n'ai rencontré de Jeannette chinoise.

La chorégraphie, avec ses en avant 8, évoque plus le XVIIIe que le XIXe. Rien d'assuré pour autant. En tout cas, il ne faut pas tirer argument de "puis un tour de valz qui vous remets a vos places" pour tirer la danse vers le XIXe. De telles indications abondent dans les publications pré-révolutionnaires. Elles concernent les contredanses en 2/4 ou en 6/8. "Valser" veut à l'époque simplement dire "tourner" - comme d'ailleurs originellement en Allemagne. Sur quelque rythme que ce soit. On "valse" ainsi par couple dans toutes les allemandes de mesure binaire.

Signalons par surcroît, au passage, que même s'il s'était agi là d'une vraie valse à 3 temps telle que nous l'entendons aujourd'hui, cela ne renverrait pas nécessairement au XIXe. La valse est connue et pratiquée en France dans certains salons dès les dernières décennies du XVIIIe siècle, en quasi simultanéité avec son émergence dans les traités allemands.

 

46 - LA CAGLIOSTRO

La danse est de Baptiste. Elle a fait les beaux jours de la société d'Ancien Régime. C'est la 328e feuille volante que publie Frère, lequel reprend sans tarder la danse dans son 34e recueil de pots-pourris où elle a le n° 536. Le manuscrit de la fin de l'Ancien Régime déjà cité qui contient tant de danses également présentes dans le ms.-Matte comprend aussi La Cagliostro.

 

47 - LE WAUXHALL D'ETE

Danse déjà en vigueur sous l'Ancien Régime, elle aussi. La figure est de Vincent. On la trouve dans le 31e recueil de pots-pourris de Frère. Ouvert en 1785, le Wauxhall d'été prend ce nom par opposition Wauxhall d'hiver plus ancien de la foire St Germain.

 

48 - L'EMBARASSANTE

Même époque. Même auteur, Vincent. Même 31e recueil de Frère.

 

49 - LE JARDIN DE CYTHERE

La danse a déjà cours sous l'Ancien Régime. Camand la publie en 39e feuille de la collection qu'il commence à constituer. Le début est celui d'un Été - mais une kyrielle de danses commencent ainsi sans être pour autant des Étés - le reste flirte avec ce thème sans s'y conformer rigoureusement.

 

50 - L'AMITIE A L'EPREUVE

La danse, dont la figure est de Corbeaux, est publiée dès la fin du XVIIIe siècle par Bouin qui lui consacre la 461e feuille de son 16e volume.

 

51 - LES PLAISIRS D'HENRY 4

Publiée deux fois par Frère - en feuille volante n° 355 et en pot-pourri, 36e recueil - la danse est de Maloisel fils. Le début est un Été que prolongent d'autres évolutions.

 

52 - LE CAPRICE D'AUTEUIL

La danse est de Charles. Frère la publie dans son 40e recueil de pots-pourris.

 

53 - LA NOUVELLE MIRABEAU

Il existe deux, voire trois, contredanses intitulées La Mirabeau (car notre Nouvelle Mirabeau est souvent désignée de façon écourtée La Mirabeau). Deux manuscrits, l'un daté de1767, l'autre constitué entre 1750 environ et 1765/70, donnent la musique d'une contredanse portant ce nom. Elle n'a rien à voir avec celle du ms-Matte.

Bien que la chose n'intéresse pas, en conséquence, la présente étude, on peut se demander qui est à cette date reculée le premier Mirabeau en question. Impossible qu'il s'agisse du Mirabeau dont l'histoire a gardé trace, lequel, tout juste âgé de 20 ans, entre alors dans l'armée, parfaitement ignoré des feux de l'actualité. C'est donc à son père, l'économiste, marquis de Mirabeau, que réfère la danse, suite sans doute à ses publications, Traité sur la population voire Théorie de l'impôt où il prend position contre les fermiers généraux.

Les Mirabeau ultérieures, célèbrent bien, elles, le Comte de Mirabeau, fils du précédent, figure marquante de la Révolution. L'une d'entre elles est une composition de Berthault publiée sur feuille volante par Frère, n°564. L'autre, due à Féret, est elle aussi publiée par Frère en 584e feuille. C'est d'ailleurs en toute logique la seconde, celle de Féret, qui porte parfois - parfois seulement - le titre de Nouvelle Mirabeau. C'est donc la nôtre, quoique je ne puisse garantir le fait en toute certitude tant que je n'en ai pas la partition sous les yeux.

C'est aussi cette même contredanse de Féret (orthographié cette fois "Ferret"), que le manuscrit de l'Opéra si souvent cité répertorie - sans la qualifier pourtant pour sa part de "nouvelle" -, comme il a répertorié, on l'a vu, tant d'autres danses également présentes dans le ms-Matte. (Lecteur, bien que j'essaie de faire simple, tu trouves peut-être tout ceci embrouillé. Pense donc à moi, pauvre chercheuse, qui me débats constamment dans la complexité parfois inextricable des documents. Et relis ce que je viens d'écrire… Tu vois ? C'est plus clair déjà.)

L'une ou l'autre contredanse - celle de Ferret ou celle de Berthault - apparaissent aussi chez Bouin (2e recueil de contredanses) et chez Maupetit (10e recueil).

Aucun de ces recueils n'étant daté (ils ne le sont quasi jamais) reste - par pur plaisir - à supputer la date de composition de la danse. La première contredanse dédiée à notre homme date vraisemblablement de la première période où il s'attire l'attention d'un vaste public. Après son "Essai sur les lettres de cachet et les prisons d'État" de 1782, peut-être, ou ses écrits sur la monarchie prussienne (1787) ou encore en 1789 quand, simultanément, son "Histoire secrète de la Cour de Berlin" fait scandale, qu'il fonde la gazette Le Courrier de Provence, et qu'il devient une figure marquante des États généraux. On peut penser que la seconde vient sanctionner son nouveau personnage de conseiller secret de la royauté et sa nomination à la présidence de l'Assemblée, ce qui renvoie à 1790 et à 1791 année de sa mort.

 

54 - LA DOLIVA (cf. 31)

 

55 - LES PANTALONS

Cette danse apparaît dans un très grand nombre de recueils imprimés comme de recueils manuscrits de la fin XVIIIe. Dansée chez la reine, elle est vraisemblablement antérieure à 1783 où un ms. la consigne. Sous la forme où la reprendra ultérieurement Maloisel ("Les Nouveaux Pantalons", Bouin, 22e vol, 644 f. et Frère 784e feuille), elle deviendra la première figure du quadrille.

Les figures, absentes du ms-Matte sont les suivantes :

Deux de vis-à-vis en avant, rigodon & en arrière, rigodon.

Les 4 de vis-à-vis la queue du chat jusqu'à vos places avec les rigodons

Les 4 mêmes la chaîne des dames

Les quatre mêmes la poussette sur les côtés

De suite en avant et en arrière sans rigodon et à vos places

La contrepartie pour les 6 autres.

 

56 - LA NICAR

Cette danse, composée sous l'Ancien Régime par Baptiste et Cirier a été publiée par Imbault. Le ms fin XVIIIe souvent cité où se retrouvent nombre de contredanses du ms-Matte la contient également.

 

57 - LES DEUX SŒURS

Publiée par Frère (421e feuille) et par Savigny (122e feuille) la danse est de la fin XVIIIe. Il existe une contredanse Les 4 sœurs dans le ms Dauterneaux.

 

58 - LE TAMBOURIN DE CHATENAY

De très nombreuses contredanses de la fin du XVIIIe siècle font référence à Châtenay comme lieu de plaisirs et de danses. Notre scripteur a-t-il rectifié une erreur ? En a-t-il au contraire commis une ? Cette danse de Vincent a en effet connu la publication sous le titre Le Tambour de Chatenay (Frère, 31e recueil de pots-pourris - n° 492)

 

59 - LE CAPRICE DE CHATENAY

Cette danse de Vincent est présente dans plusieurs recueils imprimés ou ms. de la fin XVIIIe (14e vol. de Bouin + collections anonymes) sous cet intitulé ou sous celui Les Caprices de Chatenay.

 

60 - LA NOUVELLE GEORGETTE

La Nouvelle Georgette, danse de Ecnor de la fin XVIIIe, fait suite à une Georgette ou Belle Georgette publiée dès 1765 (De la Cuisse, 3e vol. du "Répertoire des bals", Frère, 3e recueil de pots-pourris). Elle coexiste - et se confond parfois selon les auteurs - avec une Petite Georgette. Elle est publiée par Frère et porte le n° 803.

Elle débute en Été et se prolonge par des évolutions dont plusieurs caractériseront Le Pantalon.

 

61 - LE PETIT BOUQUET

La danse est de Vincent. Frère la publie sous le n° 727.

 

62 - LISLE D'AMOUR

L'Ile d'Amour est aussi une contredanse de Vincent. Publiée par différents éditeurs - dont Frère, sous la double forme de feuille volante et de pots-pourris - elle figure par surcroît dans plusieurs manuscrits. Le scripteur de l'un d'entre eux la dit copiée le 7 septembre 1782.

 

63 - L'ETE

Voilà le tout premier Été. Celui de Julien. Celui que Bouin publie en 222e feuille dans son 8e recueil vers 1781. Celui qui va être incessamment copié et recopié. Par Féret d'abord dans sa Nouvelle Été. Puis par Julien lui-même et d'innombrables auteurs qui n'en changent alors que la mélodie et le titre. Bref, voilà la danse dont le titre est éponyme d'un genre.

Ou, plus exactement, voilà l'air original de L'Été, le grand ancêtre. La figure, elle, est certes celle de L'Été, mais dans l'un de ses avatars plus tardifs. L'en avant deux initial a disparu au profit d'un allongement des chassés qui suivent (état déjà observable dès La Nouvelle Été, vers 1789), le balancé avec ceux des côtés se fait maintenant au partenaire, un tour de mains juqu'alors inconnu conclut le tout. Selon Jean-Michel Guilcher (cf "La Contredanse, un tournant dans l'histoire française de la danse", édit. Complexe & CND, 2004, réédition de "La Contredanse et les renouvellements de la danse française", Mouton, Paris, 1969) dix-sept Été du seul Julien sont construits sur ce modèle aux alentours de 1804. Une fois de plus, le ms-Matte nous ramène donc à cette date.

 

64 -LA COLINETTE

Il existe plusieurs contredanses différentes de ce nom. À quoi s'ajoutent des Petite Colinette ou Nouvelle Colinette.

Il ne s'agit pas ici de La Colinette que Frère publie avant la Révolution en n° 370 de son 23e receuil de pots-pourris et que reprennent divers manuscrits. Notre danse est très vraisemblablement celle que Hullin compose pour le bal de l'Hôtel de Richelieu après la réaction thermidorienne, (celui, déjà évoqué, dit "Bal des victimes") et que Frère publie dans "Trois quadrilles". Je n'ai pas à demeure le recueil et ne puis donc vérifier. Mais je possède la photocopie d'un manuscrit où La Colinette voisine avec La Richelieu, du même Hullin, tirée du même recueil "Trois quadrilles". Je tiens donc jusqu'à plus ample informé l'identification avérée.

Comme souvent, les indications du scripteur du ms-Matte sont lacunaires ou fautives Ainsi il n'est pas précisé que les chassés croisés 4 doivent être ensuite déchassés et entrecoupés, à chaque fois, de rigodons ; ni que la queue du chat est en réalité une demi-queue du chat.

 

65 - LA RICHELIEU

Composée elle aussi par Hullin, elle est publiée par Frère dans ce même "Trois quadrilles, nouvelles contredanses françaises composées et arrangées pour le bal de l'Hôtel de Richelieu". Le titre de la danse reflète donc le lieu auquel on la destine.

Les évolutions semblent être sujettes à variations puisqu'une autre notation indique pour sa part : "Chaîne anglaise entière en vis-à-vis - La poussette à 4 - En avant En arrière - Chaîne des dames entière - demie queüe du chat - demie chaîne - à vos places. Contrepartie pour les 4 autres". Le ms Dauterneaux contient aussi La Richelieu, mais sans en donner les figures ce qui interdit les comparaisons.

 

66 - LA ROSIERE

Cette Rosière n'est pas celle que publie Bouin avant la Révolution (3e vol., 82e feuille, musique de Vincent, figure de Verdier) et que reprennent divers notateurs. Ce n'est pas non plus La Nouvelle rosière de Gérard, publiée elle-aussi par Bouin ainsi que par Frère (17e recueil de pots-pourris)

C'est dans le recueil de Hullin qui contenait déjà La Richelieu et La Colinette que le scripteur du ms-Matte continue ici de puiser. La figure, telle que la donne un autre ms, est conforme à ce que donne aussi le ms-Matte. (Signalons d'autres Rosière ou Nouvelle Rosière dans la publication Dauternaux de 1780 et dans le ms du même auteur)

L'air de cette Rosière connait une si grande vogue qu'il survivra longtemps à la contredanse. Il deviendra la chanson Paris s'éveille, associé aux paroles "L'ombre s'évapore/et déjà l'aurore/de ses rayons dore/les toits d'alentour… ", évocation de l'éveil progressif de la capitale dont Jacques Lanzman, chanté par Jacques Dutronc, de nos jours, a repris le thème.

 

67 - LA SINCERE

Toujours Hullin Toujours les "Trois quadrilles" publiés par Frère. Toujours le répertoire des bals de l'hôtel de Richelieu.

 

68 - LA CONSTITUTION

Il faut sans doute reconnaître ici La Constitution de Becourt, auteur de la période révolutionnaire (Frère, 771e feuille). Signalons pourtant qu'il existe une Constitution française de Dubuis (Frère 786e feuille) dont il faudrait s'assurer que le titre présent n'est pas le raccourci.

 

69 - LA FLEURISANTE

Il existe bien une Fleury ou Fleuri à l'époque révolutionnaire, mais je ne connais pas de Fleurisante.

 

70 - LA NOUVELLE GRACIEUSE

Bouin et Frère publient tous deux cette contredanse dont la musique est de Vincent et la figure de "D. amateur". On la retrouve également dans plusieurs notations manuscrites dont celle de Dauterneaux qui n'en consigne que la mélodie. Toutes les notations sont rigoureusement identiques sauf celle du ms-Matte qui omet de mentionner la "chaîne comme à la Dufour" après les chassés, chaîne présente dans toutes les autres notations.

 

71 - LA FRIVOLITE

Hullin et Joly font tous deux connaître une Frivolité. Sont-ce les mêmes ? (L'éditeur est chaque fois Frère, dans "Trois quadrilles" pour le 1er, dans "Recueil de nouvelles contredanses", pour le 2e.) Toutes publications sans date. On a vu que Hullin compose pour l'Hôtel de Richelieu. Joly, qu'il reprenne La Frivolité de Hullin (vraisemblable) ou qu'il en compose une nouvelle (qui devrait alors normalement s'appeler "La Nouvelle frivolité") se situe lui aussi dans ces toutes dernières années du XVIIIe ou les toutes premières du XIXe.

 

72 - LA TERPSICHORE

Il ne s'agit pas de La Terpsichore de Papillon, publiée vers 1767 par de la Cuisse dans Le Répertoire de bals, mais d'un Été de Hullin, vraisemblablement tiré, lui aussi du fameux recueil "Trois quadrilles".

 

73 - L'ENFANT DU BONHEUR

Contredanse inconnue au bataillon. (Lequel bataillon est pourtant gros de Les Enfants, L'Enfantine, L'Enfant trompeur, Les Enfants de Paris, les Enfants du soleil.)

La chorégraphie enchaîne une fin de Pantalon sur un Été. J'incline à y voir une composition des premières années du XIXe.

 

74 - LA CALIOPE

La danse est de Hullin, publiée par Frère dans "Trois quadrilles".

 

75 - L'ALSACIENNE

Cette Alsacienne remplace une première contredanse allemande à succès de ce nom dont Carel avait composé la chorégraphie en 1766.

Celle qui nous occupe est quasi à coup sûr celle de Hullin, dans "Trois quadrilles". Disons plutôt que cet auteur en a composé la musique, car la figure, elle, ne lui doit rien. C'est tout bonnement un Été. Pas même une variation tardive sur L'Été, mais la reconduction pure et simple du tout premier Été de Julien, le plus ancien. (Je subodore que notre scripteur, coutumier de ce genre de négligence, a dû omettre de noter l'en avant deux initial qui rend la figure strictement identique à L'Été de Julien. En tout cas, un autre ms qui note de son côté le titre de Hullin, mentionne pour sa part ce premier mouvement.)

Hullin a aussi composé une Nouvelle Alsacienne dont je ne sais si elle est "nouvelle" par rapport à celle de Carel ou par rapport à celle-ci, ce qui m'empêche de la dater.

 

76 - LA CORISANDRE

La danse est de Hullin, toujours dans le même recueil. Elle met en œuvre des éléments qui, tels la queue du chat - demi queue du chat, ici, quoiqu' écrive le scripteur - et la demi-chaîne sont des clichés usuels de Pantalon. La fonction qui leur est attribuée est d'ailleurs ici la même que dans cette danse : le 1er amène les danseurs aux places de vis-à-vis, le second leur fait retrouver leur place originelle.

 

77 - LA PETITE NANETE

Plusieurs danses de ce nom se succèdent dans la 2e moitié du XVIIIe siècle. La Petite Nanette qui nous occupe est soit celle qui figure dans "Trois quadrilles" de Hullin, comme les précédentes, soit celle qui figure dans un "Recueil de contredanses et walses" de Julien Clarchie en 1804. Il n'est pas impossible que cette alternative soit illusoire et que ces deux Nanette n'en fassent en réalité qu'une seule (éventualité plausible que je ne suis pas en mesure de vérifier au moment où j'écris).

La chorégraphie du ms-Matte est un avatar de L'Été.

 

78 - LA NOUVELLE PIEMONTAISE

Toujours Hullin. Toujours Trois quadrilles.

Classique hybride d' Été et de fin de Pantalon.

 

79 - LA DARCOURT

Je ne connais qu'une Dharcourt, dans le 39e receuil de pots-pourris de Frère. La musique m'en faisant défaut, je ne puis me prononcer.

 

80- L'ETOILE

Il ne s'agit pas de L'Étoile, contredanse allemande de Battu publiée par Bouin dans les débuts de sa collection (celle que reprend le ms Dauterneaux).

Notre danse est une composition de Julien Clarchie. Orthographiée L'Étoille, elle est publiée après la mort de cet auteur par Frère dans les premières années du XIXe siècle, à une date inconnue mais sans doute plus tardive que toutes celles dont il a été question jusqu'ici. (c. 1815 ? Voire même 1816 ? Le "26e Recueil des Contre-danses et Waltzes" de Julien Clarchies qui la contient, non daté, est en tout cas postérieur à la Restauration. Si la danse est nouvellement publiée à cette date - encore n'est-ce pas nécessairement sa toute première publication - elle n'est pas pour autant nouvelle, ayant nécessairement circulé avant la mort de son auteur. Auquel cas l'on pourrait conserver pour le ms. Matte - au moins jusqu'à cette notation incluse - la date de c. 1810 qui prévalait jusqu'ici (voire même, peut-être, c.1804-1805 à l'extrême rigueur). Je n'ai pas, de mon bureau, le moyen de transformer ce "peut-être" en affirmation. Il me manque de pouvoir vérifier que la contredanse L'Étoile consignée dans le ms de la période révolutionnaire souvent cité au début de cette recension, ms. qui contenait déjà nombre de danses du ms-Matte, est cette même Étoile du ms. Matte.

Du point de vue chorégraphique, la danse est une Trénis à laquelle on a adjoint une introduction (chaîne des dames, balancé, tour de main). Ce genre, qui s'élabore dans les premières années du XIXe siècle et qui disputera bientôt à La Pastourelle la 4e place dans le quadrille, n'est manifestement pas encore fixé à l'époque du ms. Matte. Au moins le voit-on justement en train de se chercher, tel qu'il s'incarne dans L'Étoile.

Dans ces 1ères années du XIXe, le personnage éponyme qu'est l'admirable danseur M. de Trénis, éblouit par sa technique et par l'éclat de sa danse. Il brille dans les tout premiers et rares salons qui s'aventurent à donner à nouveau des bals privés sous le Directoire. (Les bals de l'Hôtel de Richelieu, comme ceux de Thélusson, jusque-là seuls ouverts, étaient des bals publics pour une société choisie d'abonnés). Sa présence y est à elle seule gage de succès. On la signale chez ces pionnières que sont Mmes Haingerlot, Hamelin, Tallien, - les premières étant elles-mêmes de remarquables danseuses -, puis chez Mme de Récamier et chez Laure Junot, duchesse d'Abrantes.

On trouve des Trénis à foison dans les recueils constitués entre les dernières années de l'Empire et 1830 environ. Le fait que notre ms-Matte n'en contienne qu'une - outre une mention ultérieure - , par surcroît pas encore totalement classique dans sa forme, me conforte dans l'idée que nous sommes alors encore tôt dans le siècle, à l'orée du genre, dans les toutes premières années où le modèle s'en élabore et s'en propose avant de s'imposer.

La notation de L'Étoile, seule de tout le recueil, présente une particularité. On y remarque en effet la main de deux scripteurs. Au moins la notation musicale, bien que moins soignée que d'autres, parait-elle être toujours du scripteur habituel, tandis que la notation des figures est, à coup sûr, d'une autre main. Jusque là, notations musicales et notations chorégraphiques - quand ces dernières existaient - allaient de pair, inscrites d'un même élan l'une à la suite de l'autre, sans que le scripteur ait vraisemblablement le modèle imprimé sous les yeux (sauf, peut-être, quand se suivent dans le ms. plusieurs contredanses provenant d'un même recueil) Pour ce qui est de l'indication des figures, en tout cas, les plus ou moins grandes différences de formulations avec celles des publications désignent un auteur écrivant ce qu'il connait par cœur et non ce qu'il recopie. S'il a un livre ouvert devant lui, il s'en sert comme d'un aide mémoire auquel il jette un coup d'œil distrait.

L'impression qui prévaut dans L'Étoile est autre. Le scripteur n'a pas de cette danse la connaissance intime qu'il a des autres. Il n'est pas à même d'en noter sur le champ les figures comme il fait d'habitude : à sa manière, dans son propre vocabulaire. Il remet à plus tard. Cela n'est guère concevable à partir de 1820. Les Trénis sont en effet devenues alors si familières à tous qu'il suffit de l'indication "figure de la Trénis" en regard de n'importe quel titre pour en indiquer la chorégraphie. Le scripteur inhabituel qui se charge en un second temps de compléter la partition ne semble guère plus familier de la danse que ne l'était le notateur de la musique. Il prend en effet la peine inhabituelle de recopier tout au long, mot à mot, sans en négliger aucun détail, le texte publié par Frère, ce qui nous vaut une inscription anormalement étoffée par rapport à celles du reste du manuscrit.

 

Conclusion partielle sur ces deux premiers tiers du manucrit

Rien dans le ms-Matte - jusqu'à cette ultime contredanse de L'Étoile, au moins, où demeure une incertitude et qui semble plus tardive - ne renvoie de façon absolument contraignante à une date ultérieure à 1804/1805. Tout pointe, au contraire, une notation réalisée dans les toutes premières années du siècle. La date de c. 1810 reste - jusqu'à L'Étoile exceptée, vraisemblablement, - tout à fait plausible.

Les contredanses du XVIIIe finissant sont largement prédominantes dans cette première partie du manuscrit - cette 1ère partie constituant, rappelons-le, les deux tiers du recueil - , nombre d'entre elles, sinon la plupart, étant antérieures à la Révolution.

Pour ce qui est des contredanses assurément ou possiblement du XIXe, elles ne différent guère, dans le ms. Matte, des modèles antérieurement en vigueur. En outre, ce sont pour la plupart des Été. Or le polymorphisme de ces Été renvoie, lui aussi, au début du siècle, avant que la danse ne se fige définitivement en une chorégraphie immuable. Nous sommes ici avant le "tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change". Significatif, encore, le fait que le tout premier air de L'Été de Julien perdure toujours à la date où notre scripteur constitue son manuscrit. On est donc encore proche des sources initiales. L'air est en effet appelé à disparaître peu à peu devant la surabondance des supports musicaux nouveaux pour la danse.

La multiplicité et la variété des Été ne parlent pas seules en faveur d'un date relativement précoce. La quasi absence - ou en tout cas l'extrême rareté - de Pantalon, de Poule, de Trénis, confortent aussi cette datation. De même que le visage non parfaitement défini et arrêté qu'ont alors ces trois danses, à la différence de ce qui va peu à peu advenir.

Parle aussi en faveur d'une date tôt dans le siècle le fait que ces contredanses sont données isolément et non regroupées en suite. Certes, jusque vers 1820-1830, voire au-delà, on continue de danser des contredanses isolées à côté des quadrilles et les recueils de Frère du début XIXe consignent en un premier temps les danses sans les organiser. Mais la prédominance des quadrilles ou pots-pourris organisés s'observe très tôt dans les salles de bal comme dans beaucoup de recueils. Notre manuscrit n'est pas aligné, notations ultimes exceptées, sur une telle pratique.

Enfin, me frappe le fait que l'on ne trouve aucun des titres de contredanses qui ont fait écho aux victoires de l'Empire, aucun de ceux qui rendent hommage aux grands généraux, pas non plus de Joséphine, ni de Nouvelle Joséphine, pas de Naissance du Roi de Rome. À soi seul, cela ne vaudrait pas preuve. Mis en regard de tout ce qui précède, cela contribue toutefois à grossir le faisceau des présomptions.

 

Les contredanses de la fin du manuscrit

Pour ce qui est des assemblages d'airs qui suivent L'Étoile, dépourvus, pour la plupart, de titres comme d'indications chorégraphiques, ils sont à l'évidence plus tardifs. Leurs agencements systématiques en quadrilles de cinq contredanses renvoient en effet à une époque autre que celle des premières notations. Nous ne sommes plus à cette charnière des deux siècles. L'Ancien Régime s'est effacé. La seule trace qui en subsiste est cette organisation en pots-pourris. Mais ceux-ci n'atteignent plus maintenant comme ils le faisaient naguère, dans les bals de Marie-Antoinette, - et comme ce pouvait encore éventuellement être le cas à l'époque où le scripteur commençait son cahier -, des suites de neuf contredanses. Les nouveaux pots-pourris, qui prennent depuis le début du siècle le nom de "quadrilles", s'en tiennent désormais, comme dans le manuscrit, à cinq termes, préfigurant ainsi le "quadrille français" qui va bientôt prévaloir avec sa succession de Pantalon/Été/Poule/Pastourelle et un final au choix.

Mais voilà, ce quadrille précis dit "français" on ne le voit justement pas encore prévaloir dans ces ultimes notations du ms Matte. Pas, en tout cas, sous la forme où il va bientôt se pétrifier ; chorégraphiquement, d'abord, musicalement un peu plus tard. Nous sommes donc vraisemblablement un peu avant 1840. (Si, du moins, l'auteur est rigoureusement aligné sur la pratique parisienne. Vers 1840 voire un peu après s'il a du retard sur la mode de la capitale.) À une époque, donc, où des danses qui ne sont ni des Étés, ni des Pantalons, ni des Pastourelles, ni des Poules ont encore droit de cité dans le quadrille. Époque, aussi, où l'un ou l'autre de ces titres peut éventuellement s'accommoder d'un 2/4 ou d'un 6/8, même si des tendances à accoler un titre à un rythme se font jour. Époque, en outre, où l'ordre des 6/8 et des 2/4 dans la construction d'ensemble importe peu.

Peut-on être plus précis dans la datation ? Sans doute. Car, bien évidemment, certains titres font aussitôt "tilt". Ainsi de deux quadrilles. Celui de Robert le diable et celui de Nathalie. Tout porte à croire que Le Quadrille de Robert le Diable répond au succès rencontré en 1831 par l'opéra de Meyerbeer. Que celui de Nathalie fait écho au ballet de Filippo Taglioni Nathalie ou La Laitière suisse, représenté en 1832, dont Carafa (M. H. F Carafa de Colobrano) compose la musique. Ces ballets dont on doit la représentation à Louis Véron, alors directeur de l'Opéra, consacrent le triomphe de Marie Taglioni et marquent, avec d'autres productions, les contemporains.

Je veux ici rester prudente et ne rien affirmer que je ne puisse prouver. Certes, les chances sont grandes pour qu'il s'agisse dans le ms Matte de suites reprenant les airs de Meyerber et de Carafa. N'étant pourtant pas dans la familiarité de ces auteurs et ne tenant pas à entreprendre le travail de confronter les partitions, je me contente seulement ici de signaler les choses. À savoir la très grande probabilité que les quadrilles du ms-Matte soient décalqués des œuvres d'Opéra citées, sans aller jusqu'à dire : "oui, c'est ça, j'ai reconnu les airs !", ce qui serait mensonger. Je laisse aux musiciens - ou danseurs - désireux de le faire le soin de comparer les lignes mélodiques. Mais je suis raisonnablement confiante dans le résultat.

Tient-on le fait pour acquis - à tort ; on n'a pas le droit de faire ça ; mais c'est juste pour raisonner datation - , cela n'implique pas alors que ces airs aient été notés en 1832. (1832 et non 1831 car le scripteur a en effet noté en premier le Quadrille de Nathalie, supposé aligné sur le ballet de 1832, et seulement ensuite celui de Robert le diable, supposé aligné sur celui de 1831). Cette notation peut fort bien n'être intervenue que quelques années plus tard. (La composition elle-même du quadrille peut d'ailleurs peut-être accuser un retard de quelques années par rapport à la représentation scénique d'origine.) Mais, même tenu compte de toutes ces précautions de pensée, de prudence et de méthode, la notation par le scripteur de ces deux quadrilles - à supposer au moins qu'ils soient bien indexés, comme je le pense, sur les compositions de Meyerbeer et Carafa - ne peut guère dépasser 1840. D'une part parce que l'impact des œuvres scéniques - supposées ici originelles - va s'affaiblissant avec le temps. Et l'on verrait alors mal la logique d'une notation tardive, loin de l'aura de la première nouveauté alors que des quadrilles nouveaux balaient sans cesse les anciens. D'autre part, on l'a dit, parce que la facture des enchaînements musicaux des quadrilles de la fin du manuscrit - Quadrille de Robert le diable, Quadrille Le Charme de la musique, quadrilles sans titres (à la possible exception, sans doute fortuite, du Quadrille de Nathalie ) - interdit d'envisager des dates tardives.

 

Conclusion pour l'ensemble du manuscrit

Le manuscrit Matte accuse deux périodes distinctes de notations. La majeure partie du recueil correspond à des notations faites tôt dans le XIXe siècle. Ces notations - qui seraient d'ailleurs impensables sous Louis-Philippe - renvoient, on l'a dit, à des contredanses dont la plupart était déjà en usage à la fin du siècle précédent.

Une date précise à partir de laquelle le scripteur aurait pu commencer son manuscrit ? 1804 ou 1805 est la limite que je suis tentée de fixer en l'état actuel de mes connaissances et de ma recherche. Ces dates sont simplement celles avant lesquelles le manuscrit ne peut commencer d'être constitué (contredanse La Napoléon oblige). Mais rien, non plus, ne nous oblige à croire que notre scripteur s'y soit mis aussi tôt. Alors, proposer 1810 ? Par quel arbitraire ? Les familiers des manuscrits savent qu'on ne peut être si affirmatif - quelque plaisir qu'on ait pour soi-même à le faire - et qu'un chercheur sérieux doit toujours être conscient qu'il ne possède pas - quoi qu'il soit parfois tenté de le penser - la totalité des éléments d'appréciation. L'honnêteté intellectuelle contraint donc à donner une fourchette. Réduite, certes, autant que faire se peut, mais à condition de ne négliger aucun paramètre. Ayant pour ma part lieu de tenir ce c. 1810 pour central, j'étend donc la fourchette - pour toute cette première partie seulement - de 1805 à 1815, tout en étant encline, dans mon fort intérieur, à ne pas aller jusqu'à cette date extrême.

Il est peu vraisemblable que la notation de ces soixante-dix-neuf premiers airs ait couru sur un long laps de temps. Tout donne au contraire à penser qu'elle ne s'est pas échelonnée sur des années mais s'est faite dans une période donnée qui avait sa logique, son ambiance, sa cohérence du point de vue de la danse.

Dès la notation de L'Étoile, 80e contredanse du recueil, nous sommes déjà des années plus tard, après l'Empire, peut-être. La contredanse paraît appartenir à une période intermédiaire entre le début et la fin du cahier. Elle est, à quelque titre, seule de son genre.

L'impression que je retire de l'étude complète du manuscrit est que l'auteur a délaissé ensuite quelque temps son cahier avant d'y revenir et de remplir les pages restantes par des notations nettement plus tardives. 1832 au plus tôt si mon hypothèse Meyerber/Carafa se voit confirmée. On est alors dans une période de la danse autre. Dans une autre société aussi. Il y a discontinuité dans l'esprit de la danse, dans la culture musicale, dans l'ambiance sociale, entre ce dont témoignent les deux premiers tiers du manuscrit et ce dont témoigne le dernier.

Notre scripteur que je me plais à imaginer jeune homme quand il note L'Augustine est à ce compte un homme mur quand il transcrit le quadrille Le Charme de la musique. Les deux âges de la danse dont il rend compte répondent chez lui à deux âges de la vie.

 

Naïk RAVIART

Danseuse, chercheuse, historienne de la danse.

Membre fondateur de l'Atelier de la Danse Populaire http://www.adp-danse.com/

Membre du Conseil International de la Danse de l'UNESCO


J'ajouterai que Naïk Raviart est la fille de Jean-Michel Guilcher dont les travaux sur les danses traditionnelles et anciennes françaises font autorité. Si certains d'entre eux sont malheureusement introuvables aujourd'hui (notamment "La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne" bientôt réédité, et "La tradition de danse en Béarn et Pays basque français "), les personnes intéressées par les contredanses se réfèreront à l'ouvrage "La Contredanse un tournant dans l'histoire française de la danse" ", (réédition - actualisée par N. Raviart - de "La Contredanse et les renouvellements de la danse française" paru en 1969) disponible sur le site http://www.adp-danse.com/ de même que " Rondes, branles, caroles : le chant dans la danse"


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