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Si vous êtes un adepte d'internet et un passionné d'instruments à anches, peut-être êtes vous déjà tombé sur le site de ce fabricant hawaïen, Brian Wittman, qui propose des petites clarinettes réalisées en bambou sous le nom de Xaphoon. L'instrument que je possède, acheté devant Beaubourg durant l'été 2003, à un des amis du facteur qui en assurait une distribution pas très officielle mais efficace, en est la version moins artisanale, réalisée en matière plastique moulée puis usinée et pompeusement dénommée "Pocket sax". Premier bon point : le prix : l'instrument, ainsi réalisé d'une pièce, bec compris s'achète pour quelques dizaines d'euros. Cette version moulée présente, en outre, l'avantage de posséder une perce légèrement conique qui, de l'aveu de celui qui me l'a vendu, ne découle pas tant d'un souci acoustique, que de permettre un démoulage plus facile. Je ne sais pas quel son ont les versions en bambou, mais celle de celui-ci est très intéressante, différente de celle des clarinettes classiques, voire de celles que l'on peut se fabriquer dans des tubes de PVC. Mais l'originalité de ce timbre, qui n'est pas sans rappeler un peu celui du duduk arménien (même possibilité d'avoir un son doux et assez pur et de le charger fortement en harmoniques en forçant le souffle) est sans doute due autant à la présence d'une grosse anche (anche de saxo ténor et non soprano comme on aurait pu s'y attendre) sur une perce courte et de gros diamètre, qu'à cette légère conicité. La forme du bec sous l'anche, non en biseau comme sur les becs de clarinettes et saxo habituels, y est également certainement pour quelque chose.
Mais, voyons maintenant à l'usage : le problème d'une clarinette étant toujours l'ambitus du registre grave (qui doit couvrir une octave et demi, l'instrument n'octaviant pas mais quintoyant), le concepteur de cet instrument fait débuter la gamme (do) au petit doigt. La similitude avec la flûte à bec s'arrêtera là, en effet, toujours dans le but d'augmenter l'ambitus sur le registre grave, le petit doigt de la main supérieure est également utilisé (comme sur certaines ciaramella italiennes ou sur les ocarinas) ce qui déroute un peu les musiciens habitués à ne pas utiliser ce doigt ou ne l'utilisant que pour manœuvrer des clefs. Précisons que le doigté est ouvert, seul le petit doigt inférieur pouvant être refermé à partir du Fa#, davantage pour une meilleure préhension de l'instrument, que pour des raisons acoustiques. Dans une optique simplificatrice, c'est le si bémol (plus employé que le si naturel lorsque l'on se situe ainsi dans un ambitus commençant par un do) qui est obtenu par doigté simple. Mais du coup, obtenir le Si naturel n'est plus du tout évident pour un musicien habitué à d'autres doigtés. Les autres notes altérées s'obtiennent par doigtés de fourche, leur rendu n'est pas toujours très évident (cela doit demander une certaine habitude de l'instrument). Plus original encore, le trou de pouce et le trou le plus haut de la face supérieure (index droit) semblent avoir été inversés : il faudra donc ouvrir le pouce avant l'index pour monter la gamme et c'est plutôt déroutant, d'autant que la gamme se monte en ouvrant le pouce (ré), puis en le refermant et ouvrant l'index (mi), puis en ouvrant les deux (fa). C'est ensuite l'index encore qui servira de " clef d'octave ". L'inversion du trou de pouce et de celui de l'index a certainement de bonnes raisons d'avoir été réalisée, mais, outre qu'il est déroutant pour quelqu'un déjà habitué à des doigtés de flûte (et celui qui, à l'inverse, débute sur un xaphoon aura sans doute quelques difficultés à passer à un autre doigté), il entraîne une disposition irrégulière des trous obligeant à écarter fortement l'index, ce qui n'aurait pas été le cas en laissant au pouce sa fonction habituelle. Malgré une disposition des trous en léger arc de cercle et un léger creusement de la surface externe autour de chacun, les doigts ont du mal à trouver leur place, tant pour la main gauche, du fait de l'écartement de l'index, que pour la droite dont majeur et annulaire doivent être serrés, l'instrument se voulant pédagogique, je me demande si les petites mains arrivent à s'en sortir…. L'ergonomie du bec est également discutable : comme je l'ai déjà écrit, il conserve sa forme cylindrique au lieu d'être taillé en biseau comme c'est le cas habituellement : la prise en bouche en est assez désagréable et outre une certaine fatigue, elle me semble permettre moins de précision dans le contrôle de l'anche (pression, coups de langue…).
Voilà donc un instrument qui offre un certain nombre d'intérêts : le prix bien entendu, une sonorité originale, une tonalité de do, l'usage d'anches standards achetables dans n'importe quel magasin de musique et dans différentes dureté (de même que la ligature si jamais elle venait à casser), une belle finition (le mien est noir mais il en existe de jolis translucides et en couleur), un cache anche également fourni (ne devrait-il pas être aéré ? Deux trois petits trous à la perceuse ne devraient pas y faire de mal) et quelques autres petits détails…
Mais à côté de cela, l'ergonomie et l'usage, malgré certains choix intéressants, n'en sont pas vraiment évidents et j'avoue qu'après une période d'essai, le mien avait fini au fond d'un tiroir (1). C'est en écoutant l'instrument joué de manière très intéressante sur le dernier CD du groupe espagnol La Brujagata (il est également utilisé par d'autres groupes espagnols : Hexacorde ou Tactequete), que j'ai eu envie de le ressortir…
(1) tandis que je ne me lasse pas de la flûte Poulin dont je vous ai fait le test, du saxophone en bois de B. Salenson (même si ce dernier n'en est pas encore satisfait : problèmes de justesse) ou des clarinettes en PVC construites en stage avec Ph. Destrem.