La cornemuse en Lorraine : état des connaissances actuelles

Catherine et Jean-Luc Matte


Cathédrale de Verdun 

Cet article a été publié en 1993 dans la Revue Lorraine Populaire, il a été modifié et complété en fonction des informations nouvelles que nous avons collectées depuis sur le sujet. Nous ne l'avons illustré qu'avec des photos dont nous avons les droits de reproduction. En cliquant sur les photos ou les liens, s'ouvrira, en nouvelle fenêtre, la fiche correspondante de notre inventaire (fiche photo, lorsque le lien est en gras, ou simple page d'inventaire), vous n'aurez qu'à refermer celle-ci pour revenir à cet article, le même système vaut pour les notes.

 

Dans son esprit, le grand public a aujourd'hui relégué la cornemuse en Ecosse et en Bretagne (ne sachant d'ailleurs pas trop bien si le biniou est une cornemuse...). En ouvrant un peu les yeux pourtant, chacun peut découvrir des traces de l'instrument un peu partout en Europe ainsi que sur tout le pourtour de la Méditerranée. Si l'instrument a subsisté dans les traditions musicales d'un certain nombre de régions, il en est d'autres où il a disparu depuis trop longtemps et où seuls un certain témoignages nous permettent de cerner sa présence (1). Tel est le cas de la Lorraine et, si l'état actuel des recherches ne nous permettra pas de définir un type de cornemuse propre à la Lorraine, vous serez sans doute surpris de constater que l'instrument est souvent présent dans notre patrimoine.

Définition

Rappelons brièvement tout d'abord ce que recouvre le terme même de cornemuse : plus qu'un instrument proprement dit, c'est à une famille d'instruments que nous avons affaire puisque l'on recense actuellement plus d'une centaine de types différents (non compris les instruments connus par la seule iconographie).

Ces instruments ont en commun de posséder un ou plusieurs tuyaux mélodiques de type hautbois ou clarinette, c'est à dire où le son n'est pas produit par un sifflet comme dans une flûte mais par une anche, petite lamelle de roseau taillée et montée sur un support de manière à produire le son désiré. A ce (où ces) tuyau(x) mélodique(s) peuvent s'adjoindre un certain nombre de tuyaux bourdons produisant (toujours grâce à des anches), un son continu de hauteur fixe.

Tous ces tuyaux sont rattachés à un sac de cuir faisant office de réserve d'air et permettant ainsi l'obtention d'un souffle continu et, par là même, de sons ininterrompus caractéristiques de l'instrument. Le musicien alimente ce sac en air soit par son souffle, soit au moyen d'un petit soufflet glissé sous l'un de ses avant-bras.

Les origines

Il est aujourd'hui généralement admis (bien que nous n'en ayons pas de preuve formelle) que l'instrument a été répandu par les romains sur toute leur aire d'influence ce qui explique sa répartition actuelle (Europe occidentale et orientale, contour de la Méditerranée) légèrement plus large. Si sa trace se perd quasiment jusqu'au XIème siècle environ, il réapparaît ensuite dans l'iconographie et dans les textes, comme nous allons le voir en nous focalisant sur la Lorraine.

Moyen-Age, période gothique

Saint-Nicolas-de-Port
St-Nicolas-de-port

Si elles sont relativement nombreuses et pour la plupart fort jolies, les représentations médiévales sont difficiles à interpréter d'un point de vue régional (2). Il semble en effet que l'instrument soit davantage représenté sous forme d'archétype qu'en tant que représentation réaliste. De plus la circulation des œuvres et des artistes à l'époque interdit toute attribution locale des représentations. Attribut du berger, la cornemuse figure souvent dans les scènes de la nativité comme par exemple sur le retable de pierre sculptée de la chapelle de l'ancien hôpital de Neufchâteau (3), en marge de la nativité du Graduel de St-Dié (4), ou encore au main d'un berger de l'annonce aux bergers d'un livre d'heure d'origine lorraine supposée et conservé à la Bibliothèque de Luxembourg (5), d'un autre berger de la nativité de l'"Antiphonaire et graduel à l'usage des frères mineurs de Nancy" (5bis) ou d'un berger encore dans les marges des " très riches heures de Metz" (5ter). Comme de nombreux autres instruments il agrémente les marges de manuscrits aux mains de grotesques ou d'animaux (Graduel de st-Dié, Bréviaire de Renaud de Bar de la Bibliothèque de Verdun (3 cornemuseux dont un lapin)) ou les décors sculptés des églises et cathédrales (représenté par trois fois sur la basilique de St-Nicolas de Port (6), sur la cathédrale de Verdun (7) ou sur un pilier de l'ancien Jubé de l'église St-Martin de Pont-à-Mousson (8)) Si deux des représentations de la Cathédrale de Metz semblent dater de l'annexion allemande ( comme par ailleurs deux autres représentations présentes dans les stalles dues à l'atelier Klem de Colmar), deux autres sculptures paraissent d'époque (9). Intéressons nous plus particulièrement à la danse de bergers figurant sur une frise extérieure. Si l'aspect populaire de la scène incite à penser à une représentation d'inspiration locale, la fréquence de ce type de scène dans les manuscrits (en marge des scènes de la nativité) tempère cette appréciation.

XVIème - XVIIème siècle

C'est aux alentours du XVIème siècle que nous allons rencontrer les témoignages les plus intéressants, grâce à deux des plus grands artistes lorrains : Jacques Callot et Georges de La Tour.

Jacques Callot (1592-1635)

Gobbi de Jacques Callot
Gobbi de Jacques Callot

Si le célèbre graveur est indéniablement lorrain, son voyage en Italie va compliquer l'interprétation de ses représentations de l'instrument. Son célèbre Gobbi joueur de cornemuse (10), par exemple, a été probablement gravé à Nancy, mais sur des dessins réalisés à Florence. Le sujet est d'ailleurs indéniablement italien. De même, sur la gravure de la foire de l'Imprunetta (conçue et gravée à Florence) apparaît l'instrument, (minuscule et peu visible, le musicien étant de dos). Remarquons que le sujet a été traité, vraisemblablement en même temps par deux autres artistes avec des compositions différentes : le dessin de Remigio Cantagallina (11) comporte en bonne position un joueur de cornemuse, le tableau de Filippo di Liagnio (12) intègre lui aussi de manière différente un joueur de cornemuse. J. Callot grave également un joueur de cornemuse en arrière plan de l'une des "varie figure" (paysanne tournée à droite et tenant un panier, cette série de gravure étant également vraisemblablement florentine) ainsi que dans l'arbre de la "Foire à Gondreville". Dans ces trois gravures (et quelques soient les versions considérées), la représentation est si petite que l'instrument est à peine esquissé et laisse subsister un doute sur son identification. La Foire à Gondreville présente toutefois l'avantage d'être localisée en Lorraine (13) et attesterait donc de la présence de l'instrument dans la tradition populaire Lorraine. Dans tous les cas la cornemuse est de même type à chalumeau simple et bourdon d'épaule. Le cornemuse figure également dans les scènes d'annonce aux bergers de deux séries de gravures de J.Callot à sujet religieux : "Les mystères de la Passion" et "Vie de la Vierge"

Georges De La Tour (1593-1652)

Si ses vielleux sont, à juste titre, célèbres, mais combien d'entre vous ont remarqué le joueur de cornemuse présent dans le tableau de Georges de La Tour : "Rixe de Musiciens" (14). Cette œuvre constitue pourtant à l'heure actuelle la pièce maîtresse de l'iconographie de la cornemuse en lorraine: quoique non entièrement visible, l'instrument est réaliste et détaillé. Le tableau décrit la rixe opposant un vielleux à un joueur de hautbois; trois personnages encadrent la scène : une vieille femme levant les yeux au ciel à gauche, le joueur de cornemuse relativement impassible et un violoneux à l'inquiétant rictus à droite. Tous les instruments sont réalistes : le vielleux, par exemple, a déboîté la manivelle de son instrument et la tient en main comme une arme, la vielle laisse voir le carré dans lequel cette manivelle s'engage. Le hautboïste brandit son hautbois, laissant apparaître une anche étonnamment courte montée sur celui-ci. Un second instrument à vent (flûte ou hautbois de facture plus simple ?) est glissé dans sa ceinture. De la cornemuse nous apercevons une partie du hautbois seulement. La clef qui apparaît en bas de la partie visible de celui-ci laisse deviner la présence d'une fontanelle (dont on aperçoit une petite partie sur l'original mais pas sur la copie de ce tableau conservé au Musée de Chambéry) probablement semblable à celle du hautbois. Le bourdon d'épaule se termine par un fort renflement correspondant très probablement à une chambre de résonance. Il s'agit donc d'un instrument de bonne facture possédant des caractéristiques que l'on retrouve sur d'autres type connus de cornemuses sans pouvoir être assimilé de manière strict à l'un quelconque de ceux-ci.

Le caractère populaire de la scène laisse penser qu'il s'agit de musiciens du cru, que l'on qualifierait volontiers de musiciens ambulants. Mais que sait-on réellement d'eux ? Sont-ils autochtones où s'agit-il de musiciens circulant de région en région à l'image de ces musiciens italiens joueur de Zampogna et de Piffero (noms italiens de la cornemuse et du hautbois qui l'accompagne) qui parcouraient encore l'Europe au XIXème et au début du XXème siècle, remontant à pied jusqu'en Scandinavie et qui laissèrent de nombreuses traces tant écrites (15) que photographiques (16).

Un certain nombre d'experts ont par ailleurs conclu à l'inspiration flamande de ce tableau, ce qui expliquerait en partie la présence de la cornemuse, instrument très présent dans l'iconographie flamande de l'époque. L'instrument représenté par G. de La Tour ne correspond toutefois pas du tout à un modèle flamand.

Laissons de côté cette hypothèse sans pour autant pouvoir l'écarter et supposons notre joueur de cornemuse lorrain, le document va-t-il nous permettre de reconstituer une cornemuse lorraine ? Bien entendu il est possible de fabriquer un instrument d'après ce tableau, la présence du hautbois dans la main du musicien central nous permettant d'extrapoler la forme possible du pavillon non visible. Il nous manquera toutefois, outre la forme du bourdon, la nature de la perce, c'est à dire la conicité interne du hautbois de la cornemuse, conicité définissant la sonorité de l'instrument. Nous ne savons rien de l'accord de la gamme de l'instrument (certainement pas tempérée...) ni des techniques de jeu qui en permettait l'usage et définissait sa couleur musicale. En effet, les cornemuses imposent, de part le caractère ininterrompu des sons qu'elles produisent, et du caractère très limités des variations de pression possible, un certain nombre de techniques d'ornement permettant de détacher les notes et de leur donner une certaine sensibilité. Ces techniques de jeu varient d'un type de cornemuse à l'autre et son parfois radicalement différentes. On ignore enfin, le répertoire joué par ces musiciens.

La cour du Duc de Lorraine

Entrée de Charles IV à Nancy
Entrée de Charles IV à Nancy le 6 sept. 1663.
Dessin d'Albert Jacquot (17) d'après une gravure de S. Leclerc sur un dessin de Deruet

Faisons une pause dans notre inventaire critique de l'iconographie lorraine de la cornemuse et jetons un œil au très précieux travail réalisé par A. Jacquot à la fin du siècle dernier (17). Ses recherches en archives sur la musique en Lorraine vont en effet compléter les informations fournies par l'iconographie : en 1510, une somme est donnée à un joueur de musette qui joua devant le duc Antoine. Puis en 1581, le baptême de l'enfant de M. le Marquis d'Haurich fut célébré en grande pompe à Nancy, les instrumentistes exécutèrent un concert pendant le repas qui eut lieu ensuite. On se servit à l'occasion de trompettes, de violons, de cornemuses, de tambourins et de fifres. A. Jacquot a retrouvé sur de nombreuses pièces d'archives datant de 1569 à 1608, le nom de Denis Chaveneau ainsi que celui de son frère Loys Chaveneau, cornemuseux à la cour de 1590 à 1608, date à laquelle Denis est cité comme violon et non plus joueur de cornemuse. Les deux frères apparaissent encore en 1614 et 1619 avec d'autres musiciens, sous l'appellation générale de "joueurs de violon et de cornet en l'hôtel du Duc".

Nous nous étonnons qu'A. Jacquot n'ait pas fait le rapprochement entre une pièce d'archive concernant Jean Gastinet et le citant comme l'un des plus célèbres joueurs de musette en 1581 et celle concernant Joano Gatincho cornemuseux, de deux ans antérieure. La mode de l'époque incitait les artistes à italianiser leur nom comme le fit J. Callot.

Notons que toutes ces citations font références à des musiciens de cour et non à des musiciens populaires. Elles témoignent au moins de cette forme de présence de l'instrument au XVIème siècle dans notre province. Par contre nous ignorons tout du type de cornemuse utilisée dans ce contexte. Il est possible que celles-ci aient été d'un type complètement différent des cornemuses d'usage populaire.

A. Jacquot annonce un déclin de l'instrument dans la musique ducale à la fin du XVIème siècle. Il nous offre toutefois un témoignage exceptionnel, de nature iconographique cette fois-ci en reconnaissant à juste titre notre instrument aux mains de l'un des musiciens gravés par S. Leclerc sur des dessins de Deruet à l'occasion de l'entrée de Charles IV à Nancy, le 6 septembre 1663, soit plus d'un demi-siècle plus tard. La cornemuse figure donc toujours à cette date dans l'instrumentarium de la musique du Duc. L'instrument, insufflé à la bouche, possède un bourdon relativement court dressé vers l'avant.

Claude Gellée dit "Le Lorrain" (1600-1682)

Reprenons notre périple iconographique et arrêtons nous devant les œuvres de Claude Gellée et en particulier devant son "Paysage avec danse de paysans" (parfois moins heureusement titré "Fête villageoise") (18). L'inspiration générale de l'œuvre est italienne comme nombre des tableau de ce peintre, la cornemuse rappelle quelque peu les gaitas asturiennes (Espagne) actuelles; remarquons qu'elle possède comme celles représentées par J. Callot ou G. De La Tour, un bourdon d'épaule mais de forme différente (pavillon évasé) et cette disposition du bourdon, très répandue à l'époque ne suffit pas à définir un type donné d'instrument. Les différentes esquisses préparatoires conservées, dessins et autres tableaux d'inspiration proche (19) ne nous renseignent guère plus : on n'y distingue généralement que la forme d'un bourdon d'épaule évasé, seul le dessin de l'album Wildenstein (20) est plus détaillé mais sans doute guère plus réaliste comme en témoigne la position erronée (trop haute) des mains sur le hautbois.

C. Gellée a également représenté (21) la célèbre scène mythologique de la confrontation musicale entre Apollon et Marsyas; le premier jouait de la lyre, le second d'un instrument à vent, parfois représenté sous la forme d'une cornemuse, ce qui est le cas ici. La cornemuse qui gît à terre devant Marsyas vaincu attendant le supplice rappelle vaguement les zampognas italiennes avec ses deux hautbois coniques, mais la représentation reste très schématique et le bourdon d'épaule également présent rend caduque l'hypothèse de la représentation d'une zampogna italienne. Comme le précédent, ce tableau a fait l'objet de variantes (22)

Une autre oeuvre de ce peintre présente une cornemuse : "Danse au soleil couchant" Je n'en ai malheureusement connaissance que par une gravure de Marchais et Godefroy . L'inspiration et identique, mais la scène différente de la série des "Paysages avec danse de paysans" , la cornemuse est également totalement différente, de type flamande. Il pourrait bien s'agir d'une œuvre dans l'esprit de Le Lorrain mais non de sa main. De même un tableau conservé au Petit Palais à Paris et anciennement attribué à Le Lorrain a été réattribué à un peintre nommé Jean Both (23)

Dans le même esprit, mais un siècle plus tard, nous devons citer le tableau de Jean Baptiste Claudot (Badonvillers 1733 - Nancy 1806) exposé au Musée des Beaux-Arts de Nancy et daté de 1764 environ: " La colonnade en ruines", mettant en scène quelques personnages vivant dans une hutte parmi des ruines antiques. Un cornemuseux aux pieds nus y joue debout à côté d'une fileuse. La représentation semble fantaisiste : cornemuse à 2 hautbois coniques (une main est posée sur chacun), de longueurs légèrement différentes et un bourdon d'épaule également conique. On ne distingue pas de souche aux hautbois mais la poche est dotée de franges à cet emplacement

la chepnée ?

Dans les actes du colloque de Gaillac ("Un monde qui bourdonne" 2008 ed. La Talvera), Luc Charles-Dominique fait mention d'une citation issue d'un des nombreux textes d'époque que Robbin Briggs avait reproduit dans les actes du colloque de 1992 ("Le sabbat des sorciers en Europe XVè XVIIIè siècle" ed. J. Millon page 168. consultable ici ). On y trouve la mention : " (après laquelle danse ou rondiat , ou y avoit une Chepnée ou cornemuse) ". Je ne m'étendrai pas sur la présence de la cornemuse dans une scène de sorcellerie, je préciserai juste que c'est la seule mentionnée dans les textes reoproduits dans cet ouvragen textes où il est fait également mention d'un violon, de tambours et plusieurs fois de flûtes.

Le terme chepnée semble par contre inconnu en dehors de ce texte du moins d'après ce que j'ai pu chercher sur internet pour l'instant. Si celui-ci évoque quelquechose à quelqu'un (éthymologie par exemple), je suis preneur de tout renseignement.

Musette baroque

Cathédrale de Nancy

A partir du XVIIème siècle, nous voyons, par ailleurs, d'autres représentations plus schématiques et stéréotypées : la cornemuse vient d'obtenir ses lettres de noblesse à la cour des rois de France et plus largement dans toute l'aristocratie : les musiciens composent pour elle et les facteurs déploient toute leur ingéniosité pour améliorer tant son esthétique que son fonctionnement : soufflet, clétage, adjonction d'un petit chalumeau permettant d'accroître la tessiture et, éventuellement de jouer des pièces par accord, bourdons rassemblés en un court et unique cylindre, matériaux de choix (ivoire, argent et housse de brocard). La musette ( strictement synonyme de cornemuse, cette dénomination à consonance moins populaire est préférée pour désigner cet instrument) figure sur nombre de trophées d'instruments de musique. Elle y subsistera d'ailleurs bien après son déclin, perdant progressivement tout réalisme et toute crédibilité. En Lorraine nous la rencontrerons ainsi dans le hall du Musée des Beaux-Arts de Nancy, dans le grand salon de l'hôtel de ville de cette même ville, ainsi que sur les tribunes des orgues des cathédrales de Toul et Verdun (et sur les boiseries de cette dernière), sur le petit buffet de l'orgue de la Cathédrale St-Jean de Nancy, sur le bâtiment de l'office du tourisme de Raon l'Etape, sur un immeuble de la rue tête d'or à Metz (24), dans les décors intérieurs de maisons anciennes de Metz etc... L'instrument a-t-il été utilisé à la cour de Stanislas ? Je n'ai personnellement pas encore eu le loisir de vraiment creuser cette question; sa représentation sur l'orgue de l'église St-Jacques de Lunéville n'est pas vraiment un indice car, comme nous venons de le dire, le cadre de sa représentation dépasse celui de son utilisation réelle. Notons toutefois qu'une cornemuse au moins était présente à la cour de Lunéville, au mains d'un… automate. En effet, le jardin du château de Lunéville était doté, du temps de Stanislas, d’un imposant ensemble connu sous le nom de "Rocher" et comportant 86 automates grandeur nature dont un joueur de cornemuse. Il fut créé par Emmanuel Héré avec la participation de François Richard (1678-1759). Dans son ouvrage "Recueil des plans, élévations et coupes... des châteaux que le Roy de Pologne occupe en Lorraine", (dont un exemplaire est conservé à Nancy) E. Héré décrit cet ouvrage et en donne une gravure détaillée sur laquelle le cornemuseux est visible. La description en est : "Sur une colline voisine paissent des brebis avec des mouvemens de tête : le berger qui les garde, Jouë tour à tour différents airs sur sa musette : ses doigts se remuênt aussi bien que sa tête : pour donner du vent au soufflet, il écarte à chaque instant son bras; et il bat la mesure avec le pied." (orthographe d’origine). Il fut construit en 1742 et complété jusqu’en 1752 (25)

Autres témoignages, faïences, noëls

Citons également un certain nombre de faïences issues d'ateliers lorrains mais qui malheureusement ne peuvent constituer des témoignages fiables, les modeleurs copiant très fréquemment à l'époque les productions d'autres faïenceries (ils circulaient d'ailleurs souvent d'un établissement à un autre) ou s'inspirant de gravures (26). Citons également un personnage de crèche actuellement conservé au Musée Historique Lorrain, figurant un berger joueur de cornemuse. Ici encore malheureusement, le stéréotype l'emporte probablement sur la réalité. De même quelle importance accorder à la présence de l'instrument dans les Noëls chantés tant celle-ci est conventionnelle dans l'Europe entière (ne chante-t-on pas aujourd'hui encore "jouez hautbois résonnez musette" sans plus savoir de quoi il s'agit ?). le Noël "Mon oncle Quertaille" (27) nous permet toutefois de constater que l'instrument était désigné sous le terme "chive" ne patois, rejoignant en cela bon nombre d'appellations de tous pays dérivées du nom de la chèvre (cabrette, chabrettes, Ziegh, Gaida etc…)

XIXème et XXème siècles

Si l'instrument semble bien avoir disparu de la région au XIXème et XXème siècle (à l'exception des musiciens de passage déjà cités et de communautés immigrées quelles soient auvergnates, polonaises (? 28) ou maghrébines), il réapparaît périodiquement dans les œuvres graphiques locales sans que l'on puisse toujours expliquer cette présence; citons, par exemple, une gravure d'Alfred Pellon (Metz 1874 - Allemagne 1949) (29), ou plus près de nous celles de Jean Morette (30).

Conclusion

Au risque de décevoir ceux d'entre vous que auraient souhaité voir définir "la" cornemuse lorraine, j'ai volontairement eu un regard très critique sur tous les documents proposés, l'expérience ayant démontré que toute conclusion trop hâtive sur un tel type de sujet entraîne bien vite la propagation de mythes. Compte tenu par ailleurs de la diversité des composantes de l'actuelle Lorraine, il est probable que divers type de cornemuses aient pu être utilisées à une même époque dans ce qui ne formait pas encore une région. Bien entendu nos recherches continuent, même si nous ne nous focalisons pas sur cet aspect régional et toute information ou précision sur le sujet nous sera précieuse.

 



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